Leader de l'indépendance de l'Inde et apôtre de la non-violence, le Mahatma Gandhi (1869/1948)avait une profonde vénération pour la vache. Sa relation singulière au lait, ainsi que les expériences qu'il mena en matière de diététique, justifient que l'on s'attarde sur son parcours et sur ses convictions.
Le végétarisme tient une place capitale dans la vie de Gandhi, qu'il s'agisse de son cheminement personnel ou de son enseignement : « S'abstenir de viande est d'un grand secours pour l'élévation de l'âme ».
Pour Marjolaine Jolicœur, qui connaît bien le sujet, dans l'optique du Mahatma, « l'alimentation végétarienne vise nécessairement la conversion des cœurs. C'est une façon non violente de s'alimenter, pleine de respect et d'amour bienveillant pour tout ce qui vit ».
Ainsi, Gandhi « considère la nourriture carnée comme inadaptée pour notre espèce », contrairement à Swâmi Vivekânandâ, disciple de Râmakrishna fortement occidentalisé, qui en recommandait la consommation à ses amis. Le Mahatma tenait « le végétarisme pour l'un des cadeaux inestimables de l'hindouisme ».
Irène Frain, qui a consacré un beau livre à Gandhi, raconte une anecdote amusante. Cela se passe vers les années 1900, à l'époque où Gandhi vivait encore en Afrique du sud.
« Mais le jour où une amie chrétienne veut lui démontrer la supériorité du Christ, il lui rétorque que l'amour selon Bouddha concerne toutes les créatures, et non, comme dans sa religion, les seuls humains. Puis dans la foulée, il se pique de convertir son rejeton au végétarisme, à l'horreur de la mère... ». Cette malice, qui consiste à vouloir appliquer au garçon le même discours missionnaire que lui tenait la mère, est tout à fait typique du caractère un peu espiègle de Gandhi.
Gandhi admettait que « l'homme devient ce qu'il mange ». En cela, il reconnaît un grand principe énoncé par Hippocrate, ainsi que dans le Caraka Samhita, en médecine ayurvédique : « ...le corps est le produit direct de la nourriture » (Livre I, XXVIII, 41).
Mais, dans un discours prononcé devant la Société Végétarienne Londonienne en 1931, Gandhi va beaucoup plus loin. Il critique la démarche qui consiste à devenir végétarien pour des motifs purement médicaux, estimant que c'est la pire entrée en matière et que l'on court ainsi à l'échec. Pour lui, une base morale est indispensable. « Je pense que ce que les végétariens devraient faire n'est pas d'insister sur les conséquences physiques du végétarisme, mais d'en explorer les conséquences morales ».
Constatant les polémiques au sein de la communauté végétarienne de Londres et l'attitude sectaire de certains de ses membres, il déclare que « les végétariens doivent être tolérants s'ils veulent convertir les autres au végétarisme. Adoptez une attitude humble ». Cela ne l'empêche pas d'être lui-même inflexible quant à son vœu d'abstinence de viande : « Si quelqu'un me disait que je risque la mort en refusant du bouillon de bœuf ou du mouton, même sur prescription médicale, je préférerais la mort ».
Gandhi dut cependant faire une concession au sujet du lait. Après l'avoir rejeté durant six ans, il dut se résigner à consommer du lait de chèvre à la cinquantaine, alors que ses forces déclinaient dangereusement suite à une infection intestinale. Il avouait même que cela avait été « la tragédie de sa vie ».
Contrairement à la tradition hindoue qui tient le lait de vache en grande estime, Gandhi pensait au départ que le régime alimentaire idéal est végétalien, voire frugivore :
« C'est ma ferme conviction que l'homme n'a besoin d'aucun autre lait que celui de sa mère qu'il boit quand il est bébé. Sa diète ne devrait consister en rien d'autre que des fruits secs et des noix. Il peut tirer suffisamment de nourriture pour ses tissus et ses nerfs de fruits comme le raisin et de graines oléagineuses comme les amandes. La maîtrise de la sexualité et des autres passions devient facile pour un homme qui vit de tels aliments ».
Mais, en « idéaliste pragmatique », tel qu'il se définissait lui-même, il dut réviser son opinion après que sa vie fut sauvée par du lait de chèvre bu cru, aussitôt après la traite.
Dans son autobiographie, Gandhi raconte avec franchise ses tiraillements, lorsqu'adolescent un camarade musulman l'avait convaincu de manger de la viande ; ou quand, jeune étudiant en droit à Londres, ses amis tentèrent de lui faire rompre le vœu fait à sa mère de rester fidèle au végétarisme. Plus loin, il n'hésite pas à aborder ses pulsions sexuelles, un sujet tabou à l'époque. Ainsi, Gandhi nous apparaît d'autant plus sympathique qu'il est humain, ne cherchant pas à cacher ses faiblesses et ses déchirements intérieurs.
Il faut souligner cependant que la démarche de Gandhi n'est pas tout à fait représentative de l'hindouisme. Du reste c'est un intégriste hindou qui l'assassina en 1948 et les nationalistes le considèrent toujours comme un traître, l'accusant d'être responsable de la partition de l'empire des Indes. En fait, Gandhi chercha à réconcilier hindous et musulmans, quitte à faire des concessions jugées inacceptables par son camp.
Actuellement la consommation de viande augmente globalement en Inde du fait de la multiplication des fast-foods et de l'influence souvent malsaine de Bollywood. Heureusement, depuis peu, beaucoup de jeunes indiens redécouvrent l'enseignement de Gandhi, qui avait été délaissé par la société indienne, trop occupée à courir après la réussite matérielle. Le fait que, de son vivant, Gandhi ait été plus respecté par les musulmans que par les hindous eux-mêmes est bien un signe de l'universalité de son message.
Gandhi a influencé de nombreuses personnalités comme Martin Luther King et Lanza del Vasto. Ce dernier, chrétien et néanmoins disciple de Gandhi dès les années 1930, écrivait : « La nourriture carnée porte en elle les inquiétudes, les convoitises, les acharnements, les agressivités de la bête ; la nourriture végétale, la fraîcheur et la stabilité de la plante »...
Notons également Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix 1991 et ancienne prisonnière politique birmane, une végétarienne qui marche courageusement dans les pas de Gandhi.
Aujourd'hui, le portrait de Gandhi figure sur tous les billets de banque de l'Union Indienne et sa statue trône dans de nombreuses villes, mais bien peu restent fidèles à son enseignement. Il y a même pas mal d'hypocrisie à son égard, dans le monde politique en particulier. Il est vrai que Gandhi a toujours été du coté des faibles et des opprimés. Et en Inde comme ailleurs, le pouvoir s'intéresse plus à ceux qui ont de l'argent.
Ce texte est extrait du e-book Être végétarien, le bon choix ?
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